'Tout voir, tout entendre,

ne perdre aucune idée', Evariste Galois, 29/Oct/1831


La vie d'Évariste Galois

par M. Paul Dupuy

Professeur agrégé d'histoire, surveillant général de l'École Normale.

La vie d'Évariste Galois

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Sa seconde candidature à l'École polytechnique ne fut pas plus heureuse que la première. Il fut refusé à la suite d'un examen demeuré légendaire. Vingt ans après, on retrouve un écho de la colère que cet échec excita chez tous ceux qui connaissaient Galois, dans une Note des _Nouvelles Annales Mathématiques_ : « Un candidat d'une intelligence supérieure est perdu chez un examinateur d'une intelligence inférieure. _Barbarus hic ega sum quia non intelligor illis !_ » Qui n'avait pas compris Galois? était-ce M. Binet ou M. Lefébure de Fourcy? Je ne sais, mais la tradition veut qu'après une discussion où l'un d'eux avait eu tort, le candidat exaspéré ait jeté à la figure de l'examinateur le torchon à effacer la craie. Un pareil mouvement de colère était probablement aussi un mouvement de désespoir Galois voyait la vie qu'il avait rêvée lui échapper pour toujours; il sentait que la force qu'il portait en lui l'avait mortellement frappé. Sur ces entrefaites, il perdit son père dans des circonstances tragiques. La lutte entre les libéraux et le clergé avait pris partout une intensité extrême à la suite des élections de 1827; partout l'hostilité du roi contre le ministère Martignac, en excitant l'audace du parti réactionnaire, faussait les ressorts de la vie publique. Un jeune prêtre, récemment nommé à la cure du Bourg-la-Reine, y prit position contre le maire, qui depuis quinze ans avait su conserver son indépendance. Il lia partie avec un adjoint pour supplanter M. Galois : une cabale fut montée, des couplets à la fois bêtes et licencieux coururent et furent attribués au maire, calomnie d'autant plus perfide qu'un membre même de sa famille y était tourné en ridicule. Tant de méchanceté atteignit trop bien son but : la nature bienveillante de Galois ne put résister à cette attaque : il fut pris du délire de la persécution, et, le 2 juillet 1829, profitant d'une absence de sa femme, il s'asphyxia dans l'appartement qu'il avait à Paris, rue Jean-de-Beauvais, à deux pas du collège de Louis-le-Grand. Evariste conduisit le deuil de son père. De Saint-Étienne-du-Mont où les prêtres avaient consenti à recevoir le corps du suicidé, il suivit le cercueil jusqu'au cimetière du Bourg-la-Reine, où le conseil municipal avait offert une tombe; la population du village vint au-devant de son maire jusqu'au pavé de Bagneux; on l'enleva du corbillard et on le porta à bras d'hommes pendant une demi-lieue; devant l'église où le clergé attendait le cortège, il y eut une petite émeute : le curé fut insulté et blessé d'une pierre au front. M. Galois fut descendu dans sa fosse devant son fils, au milieu du tumulte des passions politiques déchaînées. [D'áprès les renseignements fournis par différents membres de la famille.] Dans l'âme d'Évariste une pareille catastrophe, suivie d'un pareil spectacle, devait laisser une impression profonde. Il haïssait l'injustice d'autant plus énergiquement qu'il s'en croyait déjà la victime; la mort et l'enterrement de son père exaspérèrent encore cette haine pour tout ce qui était injuste et bas, et en même temps sa tendance à voir partout injustice et bassesse. Ce fut en persécuté et en désespéré, comme son père, que, à défaut de l'École Polytechnique, il se retourna vers l'Ecole préparatoire. Il y fut nommé le 25 octobre 1829, le second d'une liste de cinq élèves destinés à la section des Sciences; il se prépara à y entrer comme un polytechnicien en exil.


Bernard Bychan; Last Modified: April 21, 2005