'Tout voir, tout entendre,

ne perdre aucune idée', Evariste Galois, 29/Oct/1831


La vie d'Évariste Galois

par M. Paul Dupuy

Professeur agrégé d'histoire, surveillant général de l'École Normale.

La vie d'Évariste Galois

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C'est à cette année que se rapporte l'un des renseignements les plus intéressants donnés, en 1832, par Auguste Chevalier, dans la _Revue encyclopédique._ [Magazin pittoresque] « A seize ans, dit-il, Galois commit la même erreur qu'Abel sur la résolution des équations générales du cinquième degré. » En présence d'un pareil élève, M. Vernier était tout désorienté; en vain il essayait de le retenir, l'autre lui échappait, et l'excellent homme lui reprochait de plus en plus de compromettre son succès en travaillant sans méthode; il ne lui donna à la fin de l'année que le septième accessit. Mais il s'agissait bien de cela pour Galois : simple élève de préparatoires, tout seul, il s'était préparé aux examens de l'École Polytechnique, qu'il n'aurait dû aborder qu'après une année d'élémentaires et une de spéciales, et il osa s'y présenter : il échoua. Cet échec lui fut amer et lui parut le premier des dénis de justice qui, réels ou imaginaires, finirent par empoisonner sa vie. [Magazin pittoresque] Une des formes de sa fureur pour les mathématiques était, en effet, l'ardente volonté d'entrer à l'École Polytechnique, où il sentait d'avance que trouveraient leur emploi toutes les énergies de son cerveau et de son coeur. N'était-elle pas, en même temps que la première école de Mathématiques, une fille de la Révolution restée fidèle à ses origines, malgré tous les efforts des princes et des rois pour l'attacher à leur dynastie? N'était-ce pas sur son exemple que se réglaient les pensées de toute la jeunesse libérale? Et, du fond de leurs sordides études, quand les collégiens d'alors organisaient l'émeute, ne prenaient-ils pas pour modèles les frères aînés du collège de Navarre, ces grands et généreux enfants qui, rien qu'en chantant, faisaient trembler la Cour et l'Église ? Tout attirait Galois à l'École polytechnique : il s'y sentait prédestiné ; elle était faite pour lui comme il était fait pour elle. Il voulut donc se représenter et, sautant la classe de Mathématiques élémentaires, à la rentrée de 1828 il entra tout droit dans celle de spéciales. Cette classe avait alors pour professeur à Louis-le-Grand un homme dont le nom est resté en vénération à tous ceux qui l'ont approché : M. Richard était justement un esprit capable d'apprécier à sa valeur exacte le talent de Galois. Il savait, dit la Notice que M. O. Terquem publia sur lui en 1849, dans les _Nouvelles Annales de Mathématiques_, il savait s'élever au-dessus des programmes officiels : toujours au courant des progrès de la Science, auditeur assidu de M. Chasles à la Faculté, les questions qu'il posait tendaient à élargir l'esprit, non à le rétrécir : il devina dans Galois un génie destiné à sonder toutes les profondeurs et à étendre le domaine de la science. « Les solutions originales que ce brillant élève donnait aux questions posées dans la classe, dit de son côté la Note de Flaugergues dans le _Magasin pittoresque_, étaient expliquées à ses condisciples avec de justes éloges pour l'inventeur, et M. Richard proclamait hautement qu'il devait être admis hors ligne à l'École Polytechnique. » Il lui donna le premier prix. Au Concours général, Galois obtint le quatrième accessit avec une composition qui, m'a-t-on assuré, ne se distinguait de celle de Bravais, classée la première, que par une tendance à généraliser qui n'était déjà plus d'un élève. Aussi bien, les notes trimestrielles de M. Richard sur Galois sont conservées dans les archives de Louis-le-Grand: elles sont parfaitement simples : « Cet élève a une supériorité marquée sur tous ses condisciples; - il ne travaille qu'aux parties supérieures des Mathématiques. » Pendant cette année, en effet, Galois publia son premier Mémoire, _Démonstration d'un théorème sur les fractions continues périodiques_, dans le cahier du 1er_ mars 1829 des _Annales de Gergonne_. Il fit aussi sa première Communication à l'Académie des Sciences. « Cette même année, dit Auguste Chevalier, [Revue encyclopédique] à dix-sept ans, Galois fit des découvertes de la plus haute importance sur la théorie des équations. Cauchy se chargea de présenter à l'Académie des Sciences un extrait de la théorie conçue par le jeune collégien; il l'oublia ; l'extrait fut perdu pour son auteur qui le réclama inutilement au secrétariat de l'Académie; il avait été égaré. Le peu d'attention donné par l'Institut au premier travail soumis à son jugement par Galois commença pour lui des douleurs qui, jusqu'à sa mort, devaient se succéder de plus en plus vives. » Si du moins il avait pu se consacrer tout entier à ses recherches mathématiques. Mais non : d'autres obligations de travail et de discipline venaient à la traverse; il n'avait plus de classes de lettres, mais une classe de Physique à suivre et c'était un autre sujet de discorde entre l'administration du collège et lui. Celle-ci ne pouvait prendre son parti de la note « travail nul » que le professeur, M. Thillaye, inscrivait régulièrement, à la fin de chaque trimestre, devant le nom de Galois : elle persistait à juger que c'était là une bizarrerie voulue, affectée; peut-être même ne se trompait-elle pas tout à fait, et en tout cas ce jugement rendait de plus en plus tendus ses rapports avec lui. C'étaient de brusques et perpétuels soubresauts entre les périodes d'application où il s'absorbait à fond dans son travail, et du même coup devenait raisonnable, et les périodes de détente où les reproches exaspéraient son esprit frondeur, où la discipline retombait de tout son poids sur ses épaules prêtes à la révolte. Deux désastres achevèrent de tout gâter et de lui briser les nerfs.


Bernard Bychan; Last Modified: April 21, 2005